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Enclumes de rêve
4 avril 2013

22- Velter et Lamothe: Armurier, arquebusier

Armurier, arquebusier

André Velter et Marie-José Lamothe, extrait du Livre de l’outil,

éditions Messidor-Temps actuels, Paris, 478 pages, 1986.

 

«Quiconque voudra être armurier ou brigandinier, fourbisseur et garnisseur d’épées et de harnois, faire le pourra». Ainsi parlaient les statuts des armuriers-fourbisseurs d’Angers, l’année 1488.  Harnischer en Allemagne, factor armorum à Strasbourg, haubergier en France, armurier à Paris, ces artisans sont des chaudronniers, des batteurs d’armes. Ils ont puissamment contribué au développement de la chaudronnerie, et nous n’entreprendrons  pas ici une nouvelle description de cette activité : entre une salade (casque de la Renaissance) et un chaudron, la différence est dans les destinées, quoique l’une et l’autre aillent au feu.

La haute clouure

Non seulement les armuriers confectionnent de quoi blesser et tuer, mais, prévoyants, ils assurent aussi les défenses. Par là, ils tentent d’épouser au mieux le corps qu’ils protègent, de face, avec le timbre de l’armet, la vue de la visière ou du mézail , la ventaille, la mentonnière, le buffe de l’épaulière, le gorgerin mobile, l’épaulière, l’arrêt de lance, le canon d’arrière-bras, le plastron, la cubitière, la braconnière, le canon d’avant-bras, le jupon de mailles parfois remplacé par un braguette en fer, la tassette, le gantelet ou miton, le cuissard ou cuissot, l’aileron de genouillère, la grève ou jambière jusqu’au soleret articulé — et qu’ils protègent encore de dos, avec porte-plumail, crête couvre-nuque, gorgerin, épaulière, dossière, garde-reins et fente à éperons. Toutes les pièces sont mobiles, et jouent les unes les autres. Avec la cotte de mailles, l’armurerie touche à son principe même de chaudronnerie articulée, et les haubergiers du XIIe siècle spécialisés dans ce travail étaient désignés comme maîtres de «haute clouure».

«Le travail délicat de la cotte de mailles, composé de petits anneaux de fer engagés les uns dans les autres, était en vogue du XIIe au XIVe siècle. N’oublions pas que chaque maille devait être rivée isolément, suivant le procédé connu déjà en Orient et pratiqué par les Romains, la lorica hamata. L’usage et la fabrication du haubert de mailles ont été favorisés aussi par les Croisades, qui en firent valoir tout l’avantage comme défense parfaite du corps. Il faut distinguer à cette époque plusieurs variétés de forge et d’assemblage de différentes mailles, telles que la «maille plaquée», la maille «rapprochée» et clouée» au marteau, la maille rivée en saillie dite de «haute clouure». La maille était aussi plus ou moins fine ou grossière suivant l’usage qui devait en être fait, et qui était également précisé par la commande isolée ou la livraison en masse destinée à une unité de combattants. Le haubert, dont le poids pouvait varier entre dix et vingt kilos, se passait par dessus la tête, comme une chemise avec ou sans manches. Il était généralement doublé, renforcé par un vêtement de cuir ou de drap piqué porté dessous, le «gambison». L’usage de la cotte de mailles, fabriquée dans les tailles les plus diverses, subsista jusqu’au XVIIe siècle» (Paul Martin, Armes et armures).

 

Pôles initiateurs

Dès le XIIIe siècle, l’Italie, alors à l’avant-garde des arts et des négoces, est la grande pourvoyeuse et innovatrice en armurerie. Elle conçoit les armes ; elle les produit. Elle en fait un art ; elle vend.

En France, Angers, Arbois, Bayeux, Coutances et Cambrai deviennent à la même époque des centres réputés pour l’arme blanche, dont les deux pôles initiateurs incontestés demeurent Tolède en Espagne et Brescia en Italie. Paris édictera en 1260, les premiers statuts de haubergiers qui seront étendus et complétés en 1407.

Tolède, à la confluence des invasions maures et des reconquêtes chrétiennes, du IXe au XVe siècle, doit sans doute la qualité de ses lames à cette confrontation, à cette symbiose de la Croix et du Croissant. Julian del Rey, armurier du roi Boabdil, par la perfection de ses ouvrages, assura la renommée de la ville ; au reste, il en incarne la destinée puisque, fait prisonnier par les chrétiens, il se convertit, et Ferdinand le Catholique en personne s’offrit à être son parrain.

Brescia, dite l’ «Armata», Florence, protégée par les Médicis, Milan, Bologne et Rome vont faire rayonner l’art des armes à travers toute l’Europe. Epées, ceinturons et dagues, boucliers, écus et rondaches, selles d’armes et éperons, lances, bannières et armures d’Italie s’imposent comme les plus efficaces et les plus ouvragées. Milan, à la pointe de toute l’armurerie du XIVe siècle, n’exporte pas seulement sa production mais aussi son savoir-faire et ses ouviers ; en effet, les cours de France, d’Angleterre et du Saint-Empire germanique font appel aux artisans milanais. Comme ce Jacques Merveilles, italien d’origine, qui pourvut François 1er d’une ganiture de joute complète.

 

L’épreuve et la griffe

Avant d’être frappés au poinçon du contrôle officiel, «a plupart des casques, coiffures et plastrons d’armures et de cuirasses, devaient être soumis à l’épreuve. Celle-ci se faisait soit au tir à l’arc ou de l’arbalète, soit à partir du XVIe siècle au tir de l’arquebuse, et plus tard du mousquet ou pistolet. La pièce sortant de la main de l’artisan passait à l’épreuve d’une flèche, d’un trait d’arbalète, et plus tard d’une balle qui, tirée d’une distance déterminée, ne devait laisser qu’une empreinte dans le plastron, sans le percer. En France, au XIVe siècle déjà, les armes ayant résisté au plus violent coup de lance, furent classées comme «de toute botte» ou de «botte cassée», c’est-à-dire à toute épreuve. Une grande partie de ces épreuves étaient alors sanctionnées par des poinçons, dont certains pouvaient attester un double examen». (Paul Martin, Armes et armures).

L’avance italienne dans la conception et la technique se prolonge en invention artistique : à Florence, l’armure protège et pare. Les artistes rivalisent dans l’ornementation avec les armuriers et les ciseleurs ; Raphaël, Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini ont trempé leurs rêves et leurs génies dans quelques-uns de ces aciers. L’Allemagne suivra vite : deux ans avant la mort de Vinci, Dürer dessine les maquettes d’une armure en argent pour Maximilien 1er.

Outre le poinçon de l’armurier, la griffe du décorateur vient signer l’oeuvre d’arme : au XVIe siècle déjà, on a l’armure élégante, c’est une parure de cour plus qu’un vêtement de guerre.

 

L’invention meurtrière

Artisan et serviteur des passions belliqueuses, l’armurier devait suivre la mode tout en fourbissant les moyens de s’entretuer au mieux. Il devait adapter sa production aux projets des stratèges et, si possible, ne jamais se trouver en retard d’une guerre. Son travail ne pouvait être qu’expérimental, en ce sens qu’il fallait le modifier, le bouleverser sans cesse : exterminer les hommes constitue une tentative de longue haleine nécessitant des ruses et des soins constants. Quand les combats cessèrent d’être statiques, quand les victoires ne se décidèrent plus, comme dans le jeu de quilles au nombre de chevaliers renversés, les lourdes armures devinrent ce handicap décisif qui change la défaite en désastre ; et les armuriers abandonnèrent la chaudronnerie défensive pour la coutellerie, la fonderie, voire la serrurerie et l'horlogerie offensives. La guerre en effet, avec comme unique souci la ligne bleue de l’efficacité, mêle, conjugue et multiplie tous les perfectionnements techniques d’où qu’ils viennent.

Toujours aux avant-postes de l’invention meurtrière, les armuriers développèrent leur industrie de pointe. De là poignards, dagues, criss, kandjars, cimeterres, épées, lattes, sabres et yatagans, pour commencer.

L’arme blanche tire son nom de la lumière : auparavant, elle en a vu de toutes les couleurs. De la barre d’acier (dit trois marques) présentant une section de trois centimètres et demi sur deux, le martineur étire et forme une maquette aux dimensions que le forgeur de sabres indique ; généralement, la longueur et la largeur de la maquette doivent être des deux tiers de celle de la lame souhaitée, tandis que l’épaisseur au contraire, doit être une fois et demi plus grande. Cette première opération achevée, cinq façonnages se succèderont encore : la soudure de la maquette au plion (qui est le fer pour former les soies) ; la répartition de la matière de part et d’autre de la nervure médiane de la lame ; la formation entre les étampes des pans creux ; la réalisation du tranchant et de la cambrure ; puis, le forgeage de la soie.

 

Le cœur de la lame

L’exercice essentiel de la trempe des lames requiert un œil tout en nuances. Avant l’immersion, le fer ne doit jamais atteindre le rouge clair car le refroidissement donnerait trop d’aigreur à l’acier. D’ailleurs, pour parer aux inconvénients de l’immersion immédiate, «l’ouvrier se sert des écailles d’acier brûlé qui se détachent de toute pièce bien trempée et qui tombent au fond de l’eau. Tous les artisans savent que l’acier trempé dépouille ou découvre, c’est-à-dire que la partie oxydée par le feu quitte l’acier lors de la trempe qui prend alors une couleur gris blanc : plus la dépouille est blanche, plus l’acier est dur. Ces écailles s’utilisent donc pour modérer la trop grande vivacité de la trempe ; tout autre corps divisé et humide produirait le même effet, le fraisil, le mâchefer pilé, etc. Mais, comme le trempeur a l’écaille d’acier en abondance, il s’en sert pour cette opération. Avant de mettre la lame au feu, il prend, au fond de l’auge, trois ou quatre poignées d’écailles d’acier qu’il entasse sur un coin de la forge, à proximité du feu, mais pas assez proche pour que la chaleur puisse faire évaporer l’eau qu’elle entraîne après elle. Il met alors le fer au feu et le promène sur l’endroit animé jusqu’à ce qu’il soit également chaud partout où il doit être trempé, ce qui se reconnaît à l’égalité de la couleur. Lorsque la lame du sabre est dans cet état, il la retire du feu et la passe sous les écailles d’acier, d’abord une première fois en commençant par la pointe et continuant jusqu’à quatre ou cinq pouces de la base et la retirant ensuite à lui dans la même position. Comme le chanfrein et le biseau du bout de la lame sont fort sujets à se déjeter à la trempe, s’ils sont plongés très chauds, il les fait passer une ou deux fois de plus dans les tas d’écailles, mais très promptement pour ne pas laisser refroidir le cœur de la lame : il la plonge alors sur le dos, en commençant par la base. Les lames à deux tranchants sont maintenues dans une position verticale. Le mouvement de l’immersion ne doit être ni lent, ni accéléré ; l’un et l’autre produiraient une trempe molle. On reconnaît que la lame est bien trempée si la dépouille est bien faite, si le blanc est égal ». (Paulin Desormeaux, Manuel de l’armurier).

 

L’instant où le bleu envahit le rouge

Dur, trop dur même, l’acier après la trempe manque de ténacité, de liant, d’élasticité, il est rigide et fragile comme du verre. Un retour au foyer le dotera de souplesse ; l’opération se nomme le recuit. L’œil encore guidera cette nouvelle chauffe : l’acier revenu couleur d’eau reste trop cassant, couleur paille il devient propre à plusieurs usages (les outils destinés à couper le fer sont ramenés à cette teinte), rouge d’or il est encore assez dur pour trancher le fer mais demeure inflexible, gorge de pigeon (c’est-à-dire à l’instant où le bleu envahit le rouge). L’acier se révèle flexible si sa qualité est médiocre, bleu foncé il est flexible à coup sûr, bleu clair il produit des ressorts, passé cette teinte il perd toute dureté et toute élasticité, il revient à son état naturel. L’armurier fait revenir les sabres au recuit bleu et lorsque la lame a trouvé ce ton, il la plonge rapidement dans l’eau pour l’y fixer.

Désormais, le sabre, la baïonnette ou le fer de lance va être poli puis bruni. Les meules à polir sont garnies d’émeri de grains divers et de pierre du levant broyée, les meules à brunir sont enduites de charbon de bois blanc ou de rouge d’Angleterre. L’artisan utilise aussi des brunissoirs d’acier trempé, d’agate et de pierre sanguine.

Les lames sont prêtes à passer à l’épreuve. D’abord celle qui contrôle la qualité technique : on courbe fortement le sabre en tous sens, il doit redevenir droit ; si on le frotte contre les pavés, il doit faire des étincelles, etc. Ensuite viendra l’épreuve des corps à corps où le label de qualité s’octroie contre des barils de sang.

 

Le tonnerre

Le passage de l’arme blanche à l’arme à feu, s’il bouleverse la mise en scène des guerres, ne transforme pas aussi radicalement les données de fabrication qu’affronte l’armurier. Un canon de fusil, après tout, n’est qu’une lame en fer roulée qui se façonne à partir d’une maquette. Le canonnier ou forgeur de canon donne une chaude couleur de cerise pour commencer la courbure, plier la lame sur la broche et rapprocher les biseaux. Puis il la remet au feu pour souder. Deux chaudes doivent suffire pour obtenir une soudure parfaite d’environ 5 à 6 centimètres ; il faut donc recommencer l’opération autant de fois que l’exige la taille du canon. A mesure que l’ouvrage avance, les broches qui servent d’appui deviennent moins longues, en enfin, lors des dernières chaudes, on achève la soudure sur une petite bigorne adhérente à l’enclume.

Soudé, le canon est encore informe : «Le trou est trop petit, inégal, rempli d’écailles de fer oxydé et de rugosités ; il est beaucoup plus épais qu’il doit être en définitive, il faut qu’il soit dressé à l’extérieur, alésé et calibré à l’intérieur». (Paulin Desormeaux, op. cit.). La mise de calibre du tube s’effectue à l’aide d’équarrissoirs qui sont de gros forêts, les alésoirs intervenant pour rendre l’intérieur du canon parfaitement cylindrique. L’extérieur est façonné à la meule plongeant dans l’eau et avec des dressoirs.

S’il ne présente aucun défaut, le canon passe dans les mains du garnisseur qui va ajuster la culasse et braser les tenons. La culasse doit entrer au plus juste dans l’écrou du tonnerre et y être vissée à l’aide du tourne-à-gauche. C’est précisément cette partie inférieure du tube où le métal a le plus d’épaisseur qui se nomme le tonnerre, désignation qui indique l’endroit où a lieu l’explosion.

La complexité, la méticulosité et la diversité des tâches de l’armurier impliquent une grande variété d’outillages, un certain disparate même. En effet, se côtoient là de lourds outils qu’un atelier permet de détailler ; une forge complète avec enclume, tas, bigorne, marteaux de toutes sortes, limes, râpes, écouennes qui sont des limes taillées sur un seul sens, compas droits, courbes ou divisés ; des calibres doubles et simples pour roder les noix et les têtes de vis ; des calibres de bois pour servir de modèles à tailler les fûts de fusils ; des filières simples et doubles garnies de leurs tarauds ; des pinces, des étaux à pied, à main et à agrafe, des tenailles ordinaires et à chanfrein ; des ciselets, des matoirs qui sont des petits ciseaux de 5 à 6 cm de long qui servent à mater deux pièces que l’on veut joindre ensemble (serrées dans l’étau, on frappe dessus avec le matoir et le marteau) ; se trouvent également des gouges, des ciseaux à bois, des burins-ciseaux pour couper le fer, des rabots, des planes ; des équarrissoirs, des alésoirs à 4 ou 5 pans ; des fraises plates pour faire un trou où l'on puisse placer la tête d’une vis plate et empêcher qu’elle n’excède la pièce, des fraises à bassinet pour polir le creux du dit bassinet, des fraises pointues pour évaser l’orifice supérieur d’un trou afin d’y noyer la tête d’une vis conique, des fraises à roder qui unissent le trou où doit être placée une vis pour que la tête porte bien «à plomb», un tour à barre ; des arçons, des porte-forêts ; des scies de toutes espèces, une meule et des pierres à affûter. En outre, l’artisan utilise tous les instruments à tracer ainsi que des cisailles fortes et à mains ; des grattoirs, des brunissoirs ; des matrices ou mandrins comme mandrin de plaque, de garde, de corps, de branche, de bout ; sans oublier les moules à couler les balles puisque sans munitions, le fusil peut tout juste servir de béquille.

Dans cette longue énumération sont apparus quelques outils du bois, de ceux qui permettent de corroyer, d’orner ou de polir, ils interviennent ici pour mettre en forme le noyer du fût, ce qui s’appelle aussi la crosse et qui brille si bien quand elle est en l’air.

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